VOA / GRAND TRAIL DES TEMPLIERS 2021
Quand on parle des templiers, on pense à ces moines-soldats du moyen-âge, dont la vie était dédiée à l’entraînement, physique comme spirituel, et la volonté aiguisée vers un unique objectif.
Et c’est bien en moines-soldats disciplinés que nous avons mené notre préparation de près de deux années (en prenant en compte l’annulation de l’avant-dernière édition) dont trois derniers mois intensifs sur la base de 4 sorties par semaine, magistralement organisées par Marie-Laure, complétées par 2 séances de renforcement musculaire (qui se sont révélées particulièrement utile).
Nous avons affûté nos armes sur quelques épreuves : notamment le trail des rois maudits en Normandie, 41km et plus de 1700 m de dénivelé positif, où nous sommes partis à l’assaut de la forteresse de Philippe le Bel, tombeur de l’ordre des templiers (tiens, tiens…) ; ou une rando-course épique de 4h au rocher de Saulx au cours de laquelle nous avons englouti plus de 1500 m de dénivelé positif sous une pluie torrentielle.
Car le trail tel que nous le vivons au VOA, et c’est là tout son paradoxe, apparaît bien comme un sport individuel de combat : un combat intérieur, pour se dépasser soi-même ; mais également comme un sport collectif où, avançant en bloc sans rompre les rangs, en allant toujours chercher le plus lent, le groupe nous rend plus fort.
C’est donc une escouade de 11 coureurs et 2 accompagnatrices qui a établi son camp de base à J-2 dans une petite ferme-auberge isolée des Causses, dont l’accès de nuit par un chemin cabossé nous a tout de suite mis dans l’ambiance.
Le fait que nous soyons une troupe bien soudée a été précieux dans cette atmosphère de veille de bataille, entre partie de rigolade le soir au coin du feu afin de chasser le stress et encouragement des copains qui courraient le marathon des Causses du samedi (Linda et Valérie, rayonnantes et solaires même dans l’effort, Stefan et Christophe, remarquables de constance).
Enfin, le jour J, après un levé à 3 heures du matin et une très courte nuit passée à ruminer, quelques derniers ajustements techniques (Laurent D verra de quoi je veux parler…), nous gagnons Millau dans un froid mordant.
A 5 heures 15, le départ est lancé dans une ambiance quasi extatique avec la musique épique d’Era (« Ameno »…qui nous restera longtemps en tête) et des fumigènes rouges vifs déchirant les ténèbres.
Pendant plus de 2 heures, nous courrons dans le froid et une nuit noire comme de la poix, seulement éclairés par les frontales des uns et des autres dans un vague effet stroboscopique.
La première montée, abrupte et longue, arrive très vite et annonce la couleur et le dénivelé, je déplie mes bâtons pour ne plus jamais les ranger de la course.
Nous parcourerons ensuite des paysages magnifiques composés de forêts et de plateaux rocailleux, le long de crêtes et de vallées encaissées. Nous avons notamment eu la chance d’assister à un magnifique levé de soleil sur les hauteurs.
N’ayant jamais couru une telle distance, j’ai pris l’option dès le début d’une allure très douce. Je laisse donc partir Greg qu’on ne reverra plus, et qui fera une course impériale en à peine plus de 11h30. Je dois me forcer à ne pas accélérer et accepter de me faire dépasser, ce qui n’est pas chose facile. Cela va s’avérer payant : j’arrive à gérer tranquillement le mur des 35km qui me donne tant de soucis habituellement. C’est à ce moment, au premier ravito, que je retrouve Serge.
Nous cheminons un bon moment ensemble. A ses côtés, j’apprends à profiter enfin du paysage, illuminé par un soleil maintenant au zénith. Nous faisons des micro-pauses pour prendre des photos et tout simplement se laisser envahir par la beauté des lieux. La course se transforme alors en voyage bucolique, le temps qui défile est remplacé par l’ « ici et maintenant », les concurrents deviennent des partenaires d’aventure. Au 40eme km, je suis dans un état de bien-être total, proche de l’euphorie, j’ai vraiment l’impression de toucher l’essence du trail : la communion du corps, du mental et de la nature ; mon rythme interne battant sur celui de l’univers… Cela ne va pas durer.
Après le 50eme km et plus de 7 heures de course (un niveau jamais atteint jusqu’à maintenant), et à l’issue d’une montée difficile, je suis confronté à un « coup de pompe ». Marie-Laure me dépasse à ce moment dans un état de fraîcheur incroyable. Nous faisons quelques kms ensemble mais je ne parviens pas à la suivre et la laisse prendre le large, la voyant doubler tous ceux qui nous entourent. Elle fera une « remontada » magnifique et terminera la course en 12h40 (6eme de sa catégorie).
Le 2eme ravito au 55eme km est alors le bienvenu, je prends le temps de bien me restaurer et j’ai le plaisir d’y être accueilli par nos quatre amis marathoniens venus nous encourager : je reprends des forces physiquement et mentalement grâce à eux.
A ce stade de la course, je commence à apercevoir les premiers naufragés, pauvres hères au visage hagard, prostrés sur le bas-côté en quête d’un hypothétique second souffle.
C’est désormais le mental qui prend le dessus sur le corps dans la gestion du parcours. Les muscles tirent, ceux du dos, des cuisses, et mêmes des bras à force de manier les bâtons, je ressens les premières crampes (heureusement qu’il y a la Sporténine !) ; mais paradoxalement je me sens mieux, j’ai même tendance à accélérer légèrement.
Au 70eme km, après une descente à pic et plus de 10 heures de course, je ressens un violent coup de mou au cours de la terrible ascension jusqu’à la ferme du Cade, une montée interminable dépassant les 30 % de pente. Je suis obligé de m’arrêter par deux fois pour reprendre mes esprits et avaler une barre vitaminée. Arrivé au sommet, je retrouve Serge que j’avais perdu au cours d’un précédent point eau.
Nous poursuivons la course ensemble, les reprises se font dans la douleur tant nos cuisses et nos mollets sont tétanisés, ce qui ne nous empêche pas de poser avec un grand sourire devant les quelques photographes disséminés sur le parcours.
La dernière montée jusqu’à la crête de l’antenne-relai dominant Millau (la fameuse Pouncho) est un véritable bouquet final. C’est un passage très technique, digne de la haute montagne, où nous escaladons plus que nous progressons, nous hissant parfois à la force des bras.
Une fois au sommet, il ne reste plus que 3km de descente jusqu’à la ligne d’arrivée, que nous effectuons fourbus mais heureux.
Enfin l’apothéose à l’issue de 13h20 de course, 81km et près de 3700 m de dénivelé positif, avec le passage de l’arche d’arrivée, main dans la main avec Serge, qui aura joué le rôle de compagnon de route et de mentor sur cette première longue distance. Je suis presque étonné de me sentir (très) relativement frais.
Mais surtout, quel plaisir de déguster sa chope de bière, sérum réparateur et élixir divin, véritable coupe du Graal du traileur.
Les deux « lolo » (Laurent G et Laurent D, authentiques « dupond et dupont » de la course à pied) nous suivront un peu plus tard, bras dessus, bras dessous, au bout de 15h55 de course.
Malgré sa blessure aux talons et son manque d’entraînement, Lionel parcourera héroïquement 55km avant d’abandonner, chapeau !
L’ « after » se conclura dans notre petit gîte, à trinquer tous ensemble. Je n’oublie pas, bien sûr, nos deux accompagnatrices, Sabine et Gisèle, qui nous ont suivi, encouragé, et ont supporté nos réveils à 3h du matin ou nos ronflements de la dernière nuit.
Au final, ce grand trail restera une aventure humaine et collective inoubliable. En découvrant de nouvelles sensations et une nouvelle facette de l’effort physique (je suis définitivement convaincu que passés 50km, nous ne sommes plus dans la course à pied classique), j’y ai personnellement gagné en connaissance de soi et, oserais-je dire, en sagesse… En cela, cette expérience revêt pour moi un caractère initiatique indéniable.
Mathieu